lundi 24 septembre 2018

Le dilemme du vote ethnique

Durant la coupe du monde de football, on dit que 32 équipes s’affrontent, mais à la fin c’est toujours l’Allemagne qui l’emporte. Au Québec, pendant les élections, une dizaine de partis se présentent et s’affrontent, mais à la fin c’est toujours le parti libéral qui gagne. En effet, sur les dernières quinze années, ce parti était à la direction de la province pendant douze ans. Qu’il soit éclaboussé de scandales de corruption à répétition ou qu’il exerce un leadership douteux, il sort tout le temps gagnant. Quel est, donc, le secret de ses réussites? Sortira-t-il vainqueur cette fois-ci encore ou bien la donne a changé avec l’arrivée de concurrents redoutables comme la CAQ à sa droite et le QS à sa gauche? Ajoutons à cela que l’épouvantail de la séparation du Québec qu’il agitait à chaque élection n’opère plus depuis que le PQ l’a reléguée aux calendes grecques. Sera-t-il lâché par le vote ethnique et le vote anglophone?

Rappelons rapidement que pendant ce dernier mandat, le parti libéral à réalisé des exploits en matière de compression budgétaire et d’austérité. Malgré les promesses, le gouvernement n’a pas amélioré le système de l’éducation, ni retapé le système de santé, ni éradiqué l’évasion fiscale ni diminué le taux de chômage chez les immigrants et les groupes ethniques, ni lutté contre la malnutrition des enfants ni contre les mauvaises conditions d’hébergement des aînés ni contre la pauvreté. Au contraire, le gouvernement a administré un traitement de cheval à la société pour instaurer sa politique d’austérité qui a donné ses « fruits » sous la forme d’un appauvrissement général des pans entiers de la population. On trouvera le résultat de cette politique dans le Bilan-Faim-Québec, ici. C’est presque le quart de la population 1,9 million de personnes qui se nourrissent grâce aux banques alimentaires.

Alors pourquoi les électeurs continuent-ils à voter pour ce parti, en excluant bien sûr sa clientèle traditionnelle, les forces du grand capital et de la grosse corporation?

J’ai posé la question aux habitués et aux clients de mon petit café du Sud-ouest comme il y a trois ans sur les élections fédérales. Jeudi dernier, autour de 17 h, je retrouvais mes collègues. Je dis « collègues » parce qu’ils travaillent à leur compte, comme moi, travailleurs autonomes qu’on les appelle ou à la pige, en plus de mes ex-concitoyens, chômeurs à temps plein. Il y avait donc, Robert, l’écrivain-réviseur, Roxane, la photographe, Éric, l’infographiste, Omar, le journaliste et Hakim, le dentiste ainsi que l’artiste-peintre Adel et le sociologue et juriste Kader.

John, le jeune nouveau propriétaire du café, après un moment de réflexion, dit qu’il voterait contre le parti au pouvoir, il est corrompu. Patrick, son gérant, sans aucune hésitation, appuie son patron: «Je voterai pour barrer la route aux libéraux. Trop de magouilles et trop de promesses non tenues», ajoute-t-il.

Mais pourquoi ce revirement, vous, les Anglophones, vous êtes acquis au parti libéral de père en fils? Les choses changent, disent-ils. « Oui, nous avons toujours voté libéral parce qu’on ne voulait pas d’un parti séparatiste au pouvoir, mais maintenant, nous avons plus de choix et la souveraineté n’est plus à l’ordre du jour. »

Omar, l’ex-journaliste, dix ans de recherche d’emploi en vain, ne mâche pas ses mots. « D’abord, ce parti se réclame faussement défenseur des minorités et des communautés ethniques et qu’il veille à l’intégration des immigrants. C’est de la rhétorique pure, il agit plus dans le sens des intérêts des riches et des classes moyennes supérieures. Les cas de l’augmentation des salaires des médecins et les aides accordées à Bombardier sont les preuves. Sur douze ans de règne qu’a-t-il apporté de concret aux immigrants? Le taux de chômage est toujours deux fois plus élevé que la moyenne nationale chez la communauté francophone maghrébine. »

Éric reconnaissait que le PLQ est corrompu, mais une alternative existe, opine-t-il. « Il y a la CAQ, ce parti a l’avantage de la franchise, il défendra les intérêts des Québécois.»
«Plutôt les intérêts des riches et en déportant les immigrants » l’a interrompu Hakim.

Robert, l’écrivain, dit : «Je suis d’accord avec le constat que vous faites sur la politique, mais, moi, je vote pour le parti qui a le plus de chances de battre le PLQ, c’est-à-dire le PQ. La réplique est venue de la part de Roxane, la photographe, qui dit : « Je ne vois aucune différence significative entre les programmes des grands partis, à part, peut-être, le QS. »

Immédiatement, soutenue par son voisin de table, Kader, le juriste, qui abonde dans le même sens. « Le PLQ, la CAQ et le PQ sont tous des partis de la classe moyenne supérieure, ils défendent les intérêts de leur classe, c’est-à-dire les riches. » L’artiste-peintre, Adel, vient, lui aussi, appuyer les propos de Roxane. « Ces trois grands partis n’ont avancé aucune solution au problème du chômage qui frappe la ‘‘communauté sacrifiée’’ ». La plus jeune cliente du commerce assène martiale qu’«il n’y a que la fraîcheur, la spontanéité et la volonté des jeunes qui peuvent apporter du changement ».

Si le microcosme de mon petit café reflète la société québécoise, une vague orange déferlera sur toute la Province.