mardi 17 octobre 2023

La Palestine: la plus belle promesse de la Société des Nations ou l'insoutenable optimisme d'oncle Saïd

 

2014, c'est donc l'année de la Coupe du Monde et de l'humiliante défaite de l'équipe du Brésil à domicile, l'Allemagne comme à son habitude remportait le titre. L'année où Israël déclenchait sa énième guerre contre le peuple palestinien lançait son «offensive», comme le rapportaient les journalistes et les bulletins d'information des télévisions du monde entier, contre les «terroristes» de la bande de Gaza. Monsieur Stephen Harper, premier ministre du Canada, déclarait qu'Israël avait le droit de se défendre. Il n'était pas le seul, ses homologues américains et européens (Obama, Cameron, Hollande et Merkel...) faisaient de même. C'est aussi l'année où le chef de l'opposition officielle Thomas Mulcair exprimait sa consternation «par les récentes violences dans la région» ajoutant que «le gouvernement se doit de réaffirmer l'appui de longue date du Canada à une solution négociée en faveur de deux États, dans le respect des lois internationales...» L'autre chef de l'opposition libérale, Justin Trudeau affirmait comme son premier ministre qu'«Israël avait le droit de se défendre» en précisant que les résistants palestiniens du Hamas étaient des «terroristes».

1950, ce fut, aussi, et curieusement l'année où le Brésil perdait la Coupe du Monde à domicile comme aujourd'hui, j'avais alors 2 ans et j'habitais dans les faubourgs de Jérusalem chez mes cousins maternels. Mes parents étaient chassés de leur terre à Deir Yassin. Ni Harper, ni Thomas Mulcair, ni Justin Trudeau n'étaient nés. Louis Saint-Laurent le premier ministre de l'époque promettait aux Canadiens la paix et la prospérité après les affres de la Deuxième Guerre mondiale. Le Hamas n'était pas encore né ni le Fatah de Yasser Arafat ni L'OLP (Organisation de la Libération de la Palestine). L'ONU votait la résolution 181 en 1947 (Adoption du plan de partage : la Palestine est divisée en deux États indépendants, l'un arabe, l'autre juif, et Jérusalem est placée sous administration des Nations unies) ainsi que la résolution 194 en 1948 (les réfugiés qui le souhaitent doivent pouvoir «rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et vivre en paix avec leurs voisins» ; les autres doivent être indemnisés de leurs biens «à titre de compensation», et la Résolution 302 en 1949 (8 décembre 1949) qui mettait en place l'UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine). Je prenais donc et officiellement le statut de réfugié.


En 1958, j'avais 10 ans, et ce fut l'année où Pelé à l'âge de 17 ans menait le Brésil à la victoire et à l'obtention de sa première Coupe du Monde. Harper n'était pas encore né, Mulcair, à 4 ans, allait à la garderie, Trudeau n'existait même pas dans la tête de ses géniteurs. Le premier ministre John Diefenbaker militait pour l'exclusion de l'Afrique du Sud du Commonwealth. Mandela s'initiait à la politique au sein de l'ANC et commençait à militer contre l'Apartheid. Le Hamas n'était pas encore né ni l'OLP ni l'Autorité palestinienne. Mes parents n'étaient plus optimistes, car, l'attaque, menée par la Grande-Bretagne, la France et Israël en 1956 contre l'Égypte de Nasser, avait pulvérisé leur espoir de retrouver leur terre à l'ouest de Jérusalem. L'Algérie était française et les petites monarchies du Golf (EAU, Qatar, Bahrein, Koweit) n'avaient pas encore été créées. Au Québec, Borduas publiait son Refus global qui traçait la voie à la «Révolution tranquille» et Raymond Lévesque chantait son hymne pacifiste «Quand les hommes vivront d'amour» durant la guerre d'Algérie.

Une dizaine d'années plus tard, à l'âge de 20 ans, j'étais déjà un vétéran de la guerre de libération de la Palestine. J'avais perdu l'œil et le bras gauches dans une opération commando sur le front du Jourdain, au sein des brigades du Front populaire. J'étais affecté à des tâches administratives au secrétariat de l'OLP à Aman en Jordanie. C'est que, entre temps, l'OLP avait vu le jour, c'était l'année où Mandela entrait dans les geôles du régime d'Apartheid pour purger une peine de prison à vie. Et, au Canada, Trudeau, le père, prenait ses fonctions de premier ministre, bientôt la «trudeaumania» allait déferler et faisait connaître le pacifisme du pays et son engagement pour la paix dans le monde, comme son prédécesseur Lester B. Pearson, il refusait de participer à la guerre du Vietnam.


En ce printemps de 1968, le monde était en ébullition, la contre-culture battait son plein aux États-Unis et «Mai 1968» marquait la chute de la société traditionnelle en France et en Europe, le capitalisme et l'impérialisme étaient dénoncés. La devise «Peace and Love» était sur toutes les lèvres. Les jeunes dansaient sur les rythmes d'Evis Presly et écoutaient Hard day's night des Beatles alors que les plus engagés reprenaient les refrains Blowin' in the wind et We shall over come des chansons de Bob Dylan et de Joan Baez. Noam Chomsky manifestait contre la guerre du Vietnam et publiait La responsabilité des intellectuels.

Le Conseil de sécurité de l'ONU votait la résolution 242 (22 novembre 1967) qui condamnait l'«acquisition de territoire par la guerre» et demande le «retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés». Il affirmait «l'inviolabilité territoriale et l'indépendance politique» de chaque État de la région puis la résolution 252 (21 mai 1968) qui déclarait «non valides» les mesures prises par Israël, y compris l'«expropriation de terres et de biens immobiliers», qui visent à «modifier le statut de Jérusale», et demandait à celui-ci de s'abstenir de prendre de telles mesures, et enfin la résolution 267 (3 juillet 1969) dans laquelle il censurait «toutes les mesures prises [par Israël] pour modifier le statut de Jérusalem». L'espoir des Palestiniens de récupérer leurs territoires était immense durant ces temps-là, mais il n'y avait aucune mesure concrète des grandes puissances pour obliger Israël de les restituer. Je gardais mon statut de réfugié. La décennie 1960 s'éteignait en emportant avec elle le secret de l'assassinat des frères John et Robert Kennedy et de Martin Luther King.

En 1978, j'avais 30 ans, j'occupais toujours un poste administratif dans les bureaux de l'OLP, mais à Beyrouth cette fois-ci. C'est que Yasser Arafat et son OLP étaient chassés de la capitale jordanienne Aman. Le petit roi, comme on l'appelait, trouvait que nous prenions beaucoup d'espace sur ses terres. Septembre noir (1970) était né, une autre date phare de la révolution palestinienne. Avec l'aide des États-Unis et d'Israël, le roi Hussein de la Jordanie avait perpétré un massacre en tuant des centaines de combattants palestiniens. J'étais, donc, au Liban quand eut lieu l'indescriptible guerre civile en 1975, tout le monde tirait sur tout le monde, mais juste avant cela, la guerre de Sadate de 1973 se terminait avec des accords de paix qui allaient restituer le Sinaï à l'Égypte. Stephen Harper n'avait pas encore terminé son secondaire, Thomas Mulcair entrait à l'université et Justin Trudeau allait à la garderie. Le Hamas n'était pas encore né ni l'ordinateur personnel ni le téléphone portable. Nixon démissionnait à la suite du scandale du Watergate et les États-Unis se retiraient du Vietnam en laissant derrière eux plus d'un million de morts, alors que John Lennon chantait Imagine. Pendant ce temps-là, en 1970, Pelé, encore lui, offrait à son pays le Brésil sa troisième Coupe du Monde et se retirait de la compétition internationale.

Et l'ONU comme à son habitude pondait résolution sur résolution, celle qui porte le numéro 446 exigeait, rien que cela, l'arrêt des «pratiques israéliennes visant à établir des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés depuis 1967», et déclarait que ces pratiques «n'ont aucune validité en droit» et demandait à Israël de respecter la convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre. Au Québec, la voix de Céline Dion faisait sensation et René Lévesque pleurait la perte de la souveraineté et déclarait à ses compatriotes que s'il les avait bien compris, la prochaine serait la bonne, alors que mon statut de réfugié se renforçait et m'ouvrait le droit de demander un passeport aux instances de l'ONU. La belle promesse de l'ONU se faisait attendre, mais elle était toujours là, prête à éclore à n'importe quel moment.


Entre 1980 et 1991, le Conseil de sécurité de l'ONU avait pondu une dizaine de résolutions (la 468, la 592, la 605, la 607, la 608, la 636, la 641, la 672, la 673 et la 681) dans lesquelles, il rappelait que la convention de Genève relative à la protection des civils en temps de guerre «est applicable aux territoires palestiniens et autres territoires arabes occupés par Israël depuis 1967». Il condamnait «l'armée israélienne qui, ayant ouvert le feu, a tué ou blessé des étudiants de l'université Bir Zeit». Il affirmait qu'Israël devait «s'abstenir d'expulser des civils palestiniens des territoires occupés», demandait à Israël «d'annuler l'ordre d'expulsion des civils palestiniens et d'assurer le retour immédiat et en toute sécurité» de «cesser immédiatement d'expulser d'autres civils palestiniens», et déplorait «qu'Israël, puissance occupante, continue d'expulser des civils palestiniens». Les résolutions 673 (24 octobre 1990) et 681(20 décembre 1990) étaient des bijoux, dans la première, le Conseil de sécurité «condamne le refus d'Israël d'appliquer la résolution 672» et dans la seconde il «somme Israël d'appliquer la convention de Genève.» Notre problème c'est qu'il n'y avait jamais eu un huissier pour obliger Israël à respecter les sentences des Nations-Unis.

Cependant, l'ONU allait retrouver bientôt sa force et sa fermeté dans l'application de ses résolutions lorsque le Conseil de sécurité avait décidé de libérer le «joyau de la démocratie», le Koweït sous occupation de l'Irak. Quand Saddam, le président irakien, eut l'idée lumineuse d'envahir le Koweït, je fêtais mon 42e anniversaire à Alger. L'administration sensible de l'OLP avait élu domicile en Algérie après le bombardement de ses bureaux à Tunis par Israël. C'est que la résistance et les combattants palestiniens avaient quitté le Liban quand Israël l'avait envahi en 1982 et exigé le départ des Palestiniens, donc après Aman et Beyrouth, la direction de l'OLP passait en Tunisie. Et moi, je passais de l'âge du rêve à l'âge réaliste, mais je trainais encore l'air d'un romantique révolutionnaire à la Che Guevara. Se marier, fonder une famille et s'installer, pourquoi pas, mais les paroles du poète Mahmoud Darwich revenaient sans cesse me hanter : «Je ne voudrais pas faire venir au monde des enfants sans patrie, réfugiés de naissance.»


La décennie 1980 était riche en rebondissements, l'élimination physique du dernier pacifiste de l'époque Peace and love John Lennon et l'apparition de Michael Jackson, la planète entière dansait sur Billy Jean. La faim en Afrique interpellait les consciences et mobilisait des artistes du monde entier. La chanson We are the World était née. En parallèle, d'autres artistes comme Tracy Chapman, Peter Gabriel, Bruce Springsteen, Sting, Michel Rivard, Daniel Lavoie, et à leur tête Johnny Clegg, luttaient contre l'Apartheid.

La chute du mur de Berlin avait entrainé avec elle celle de l'Union soviétique donnant une portée de nouveaux pays. (Estonie, Lithuanie, Lettonie, Géorgie, Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan, Azerbaïdjan Turkménistan...) L'éclatement de la Yougoslavie allait suivre pour affranchir la Slovénie, la Croatie, la Macédoine, la Bosnie, la Serbie et un peu plus tard le Kosovo et le Monténégro ce qui augmentait du coup le nombre des pays membres de l'ONU qui passait de 154 à 184, mais rien à l'horizon pour la naissance de la Palestine. Soyons patients, disaient les sages Palestiniens, nous sommes sur la bonne voie, après le règlement des problèmes européens, le monde dirigerait ses projecteurs sur notre malheur. Le Hamas voyait enfin le jour, il était le bienvenu dans la famille des résistants palestiniens, décidait Israël. On allait bientôt lui remettre les clés de la bande de Gaza. J'étais encore un réfugié reconnu par les instances de l'ONU et la belle promesse était toujours dans l'air.


De 1991 à 2001, le Conseil de sécurité de l'ONU continuait à pondre des résolutions . Il déplorait, dénonçait, exigeait, demandait, blablabla... à Israël de respecter ses résolutions. Le monde inventait le téléphone et les bombardiers intelligents ainsi que la guerre préventive et l'ingérence humanitaire. Nous voilà donc aux portes de l'indépendance de la Palestine et sans guerre de libération s'il vous plaît. L'intervention humanitaire nous sauverait répétaient les éternels optimistes, profitant de cette nouvelle donne, Mandela sortait de prison, l'Apartheid avait vécu. Francis Fukuyama écrivait La fin de l'histoire et Samuel Huntington ripostait par Le choc des civilisations. Quittant Impérial Oil, le jeune Harper du parti réformiste entrait au parlement, Mulcair, le libéral provincial, à l'assemblée du Québec et Justin Trudeau à l'université. Cette décennie sera marquée par les interminables négociations d'Oslo. Ces négociations devraient mettre fin à l'occupation des territoires et l'installation d'une autorité palestinienne provisoire avant la déclaration de l'indépendance totale tant attendue. On se dirigeait vers une solution négociée et progressive lorsqu'eut lieu le plus grand événement du jeune XXIe siècle.

J'avais 53 ans et j'étais à New York dans les bureaux de la représentation de l'OLP auprès de l'ONU quand le prétexte du lancement de la guerre perpétuelle au terrorisme fut inventé. Bush fils allait finir le travail entrepris par son père en Irak. Le député Harper pressait le PM Chrétien de participer à la guerre, il fera 37 interventions en faveur de la guerre contre l'Irak, malgré l'absence de preuves de l'existence des armes de destruction massive. Sharon, le premier ministre israélien en appui à son homologue américain déclarait lui aussi la guerre au terrorisme. Du jour au lendemain, tous les groupes politiques palestiniens recevaient la suprême distinction, le label d'organisation terroriste. Les pourparlers de paix sont suspendus ainsi que l'espoir de voir un État palestinien de mon vivant. Yasser Arafat et la direction de l'autorité palestinienne seront assiégés chez eux à Ramallah pendant deux ans Harry Potter était en vogue et Madonna personnifiait Évita Perron.

Je quittais New York pour prendre mes nouvelles fonctions à Ottawa le jour même de l'opération «Plomb durci», Justin Bieber avait 14 ans et moi, j'en avais 60. Non loin de mon bureau, Harper, devenu premier ministre, entre-temps, déclarait qu'Israël avait le droit de se défendre l'encourageant à bombarder la bande de Gaza à sa guise. 1 400 morts - majoritairement des civils - plus tard, Obama entrait à la Maison Blanche et recevait le prix Nobel de la paix. Une nouvelle ère s'annonçait prometteuse pour la création de l'État palestinien, le Chef de la plus grande puissance au monde, brandissant la médaille de Nobel, déclarait qu'il était favorable à la solution de deux États et qu'Israël devait se retirer des territoires occupés en 1967. La décennie 2010 s'achevait sur le succès de My world de Bieber et l'attente impatiente des Palestiniens de voir la concrétisation des promesses du discours d'Obama, mais une tempête allait bientôt se déclencher pour emporter les vieux régimes des pays arabes. On l'appellera le «Printemps arabe».


Les présidents Z. Benali (Tunisie), M. Moubarak (Égypte), A. Salah (Yémen) et M. Kadhafi (Libye) disparaissaient du paysage politique arabe, et Bieber chantait Baby. L'ONU, encore elle, autorisait ses États membres de protéger le peuple libyen. Le Conseil de sécurité était prompt à réagir. Une coalition était mise en place comme pour le peuple koweïti pour la libération de la Libye. Les Palestiniens, médusés, regardaient cette intervention, la rage au cœur, ils étaient prioritaires. Ils se disaient qu'ils n'étaient pas assez visibles, le peuple de Gaza, sous un blocus inhumain depuis 2006, lançait des feux d'artifice sous forme de roquettes pour attirer l'attention du monde sur son sort. Il ne fallait pas plus pour qu'Israël ripostât par l'opération «Pilier de défense» (2012) en bombardant la bande de Gaza, laissant des centaines de morts parmi les civils. Les États-Unis, la France, l'Angleterre, le Canada et beaucoup d'autres petits pays criaient tous et en même temps, comme dans une chorale, qu'Israël avait le droit de se défendre.

2014 entamait son deuxième semestre en laissant derrière lui l'humiliante défaite du Brésil face à l'Allemagne, Israël continuait à bombarder la prison à ciel ouvert de Gaza, Harper et ses homologues continuaient à aboyer comme à l'accoutumée qu'Israël avait le droit ... le chef de l'opposition officielle Mulcair chuchotait à l'oreille des Canadiens qu'Israël devait montrer un peu de retenue et le jeune Trudeau répétait à qui voulait l'entendre qu'Israël avait le droit... 2 000 victimes plus tard, toujours majoritairement des civils, et la destruction de 10 000 habitations, 141 écoles, 12 hôpitaux, 1 centrale électrique, 6 abris de l'ONU , le Conseil de sécurité n'avait pas pondu de résolution cette fois-ci. Finalement, cela ne servira à rien que la communauté internationale prenne des décisions et qu'elle ne trouve personne sur le terrain pour les appliquer.

Je célébrais ma 66e année de réfugié officiel, certifié UNRWA de l'ONU en pensant à la belle promesse de la Société des Nations de 1947 et à l'humiliante défaite du genre humain. L'occupation, la colonisation et l'humiliation de tout un peuple, au su et au vu de la planète entière, pendant plus de 60 ans auront, de toute évidence, un avenir radieux, vu l'état de délabrement avancé de la condition humaine.


https://www.huffpost.com/archive/qc/entry/la-palestine-la-plus-belle-promesse-de-la-societe-des-nations-o_b_5673482


https://www.huffpost.com/archive/qc/entry/la-palestine-la-plus-belle-promesse-de-la-societe-des-nations-o-1_b_5673510