lundi 26 janvier 2009

L'enfant de Gaza

Liminaire

Le 20 septembre 2000, le monde assistait à la mort en direct du jeune Mohamed Al Dura, âgé de 12 ans, pris, lui et son père dans un feu croisé au carrefour Netzarim à Ghaza en Palestine. Sur les écrans de la planète circula cette terrifiante image d’un enfant qu’on assassinait en direct. Les naïfs pensaient que cette image allait mettre fin à cette absurde et futile guerre au Proche-Orient. Mais, sous l’influence des stratèges de l’information, l’attention a vite été détournée vers une interminable polémique sur la responsabilité de l’assassinat de l’enfant. Les médias, paralysés par le spectre de la récupération et de la manipulation, ont suivi comme un troupeau le cours tracé par les magnats du nouvel ordre. La mort de Mohamed n’est qu’une supercherie, elle ne visait qu’à renforcer la propagande de la résistance palestinienne.
La disparition tragique de l’enfant est passée au second plan, il n’y avait plus dans les médias que pour l’intention de la diffusion de cette image à la télévision.

Seuls, nous sommes seuls jusqu’à la lie
S’il n’y avait pas les visites des arcs-en-ciel.
Mahmoud Darwich



Délices de l'éveil
Désirée aube estivale de septembre
le satin pâlit à ton départ, songeait le père :
les feuilles rougissent
se rendent à ton chevet
tressent le tapis du voyage.

Désarmé, résigné, l’été s’abandonne
aux caprices de notre navire, à sa foulée.
Se retire sans fanfare, croassèrent les corbeaux.
Émerveillé, le père renonça à le consoler
il reviendra, racontait-il à son fils.

Depuis notre avènement,
l’aurore sacrée illuminait le chemin
aux nomades et aux sédentaires
aux passants et aux pèlerins sans distance.
Attirait colombes et faucons.
Éblouis par la grâce de sa lumière
les humains perdaient souvent la mesure.

Désormais, la pâleur te sied
Terre Promise, n'en déplaise
à l’aigreur de tes colons,
les détenteurs de la foudre.
Viens, embrassons sa main, fils.

Davantage de patience peuple spolié
réclamait, le père.
Alors que les rêves reflétaient la soif des justes
les occupants du trône se pavanent glorieux.

Étroit est l’asile sans frontières
l’onde de la jouissance
la veille de la naissance
repousse l’acuité de la révolte
dans les méandres de l’émoi.

Élégis, les croyants, aux prises avec leurs démons
faces au mur, et du haut de leur minbar se lamentent
scandent les paroles de plomb
car n’ayant jamais côtoyé le soleil
ils ignoraient la fortune de son éclat.

Émaciées,
les joues s’apprêtent à l’effusion du sang
réhabilitent les sons des mots enfiellés
les vents de l’atteinte rugissent
s’arrogent l’ultime soupir du réfugié.

Élaguons l’arbre de la discorde
sur les vertèbres calcifiés
semons les graines de l’entente
chassons le venin de la haine
peuples des Dieux
soupirait le père.

Élevons la concorde
cultivons ses arômes
notre sol s’y prête bien
tendons la main
et partageons à volonté.
Volontiers! S’exclama le fils.

Le retour ou la frénésie des mains
À Netzarim, sur le chemin de leur camp
la dernière brise estivale caressait
les rares feuilles encore vertes.
Main dans la main, le père et le fils
égrenaient les chants d’automne.

Bardés et embusqués, guettant les enfants
les envoyés des devins et des divins
des deux rives ouvrirent le feu.
Les assoiffés de gloire s’agitaient, hurlaient
à trancher la gorge aux moineaux.

Cerné, l’enfant ne vit
que la silhouette fuselée de l’obus
volant sans ailes, tel un éclair,
il pensa la saisir au vol.
Il étendit la main pour l’attraper
mais lisse et effilée
la balle lui passa entre les doigts :
« Encore perdu, père! »

Délirant ballet de feu et de son
les balles sifflent comme les canaris des voisins
filent comme des étincelles
mais elles transpercent le mur, père.

Émoulus, les obus ne sont pas des pierres
ni des cerfs-volants, ce n’est pas de leur tort, non plus
si elles incendient torses et vergers.
Viens, mettons-nous à l’abri, fils.

Féru de jeu, l’enfant souleva, haut
dans le ciel sacré, ses cerfs-volants blancs.
«Inutile de tirer, ils ne saignent pas!» Criait-il.

Gémissant, terrifié
le garçon aux yeux gonflés d’effroi appelait aux secours.
Le père, affligé puis horrifié, pleurait son désarroi.
Les cerfs-volants, affolés, quittèrent l’endroit.

Habiles de leurs bras armés
les gardiens du temple visèrent les civils.
Pourquoi nous ciblent-ils, père?
Nous sommes pris, fils,
dans les filets du malentendu primaire
dans les flammes des défenseurs du sacré
entre l’affront d’un peuple et le martyr d’un autre.

Je ne comprends ni l’affront de l’humilié
ni le martyr de l’occupant.
Pourquoi trembles-tu, père?
Je crains le feu du lâche plus que l’enfer du Ciel.
L’impunité obnubile l’arrogant, fils.

Lames de fond vertes à perte de vue
fusils et mitrailleuses aux épaules, prêts à l’assaut
quel saint ou quel prophète pourrait les dissuader
et dévier l’ordre de leurs cours?

Le père plaignit
l’envergure de ses ailes
leur nudité
regretta l’armure de chair de l’humain
et sa fertilité.

Maudissons le sort de la terre sacrée, fils,
pourquoi s’acharnent-ils ainsi, père?
A-t-on brisé leurs doigts, a-t-on offensé leur foi?
A -t-on déchiré leur loi, a-t-on détruit leurs toits?
A -t-on usurpé leurs territoires, a-t-on insulté leur mémoire?
A -t-on détourné leurs fleuves, père?
Ils sont aveuglés par l’éclat de notre présence
et l’indigence de notre existence, fils.

Nourri, le feu inonda le fils lové au flanc du père
il pleuvait plomb et cuivre du ciel des civilisés.
Dans les bras de son père l’enfant pleurait
sous le déluge flamboyant du monde aseptisé.

Ne pleure pas, petit, ce n’est qu’une lâche seconde
elle ne tardera pas à s’évanouir!
Elle est passagère comme toutes les rapines.
Devant les frissons du père, les cris de l’enfant croissaient
mais se perdaient dans la stridence des staccatos des armes.
Les feuilles rejetèrent leurs limbes
renoncèrent, désormais, à verdir la cour des assassins.

Palpitante et orageuse,
la main supplia l’opulence du Nord.
Frêle et houleuse
la bouche cracha la rage de l’humilié
à la face des parleurs de l’Union, en vain.
Il était seul, l’enfant
seul, devant les yeux du monde, seul.

Rauques, les voix du père et du fils
s’élevèrent de l’asphalte pour démystifier le ciel
dévoilant son imposture
haranguant le troupeau des dieux
qui s’éloignèrent têtes baissées, becs mouillés.

Soumis, assommé par le hasard de son chemin
agita les deux mains, implora les trois fidèles
ceux qui prient le dimanche
ceux qui se prosternent le samedi
et ceux qui s’agenouillent le vendredi
de communier ou de fusionner
c’est dans l’air du temps, soutenait le père.

Tueurs de tous les bords
au nom de votre divine origine
et au nom de votre amour pour votre progéniture
et au nom de votre grandeur passée et celle à venir
ne tirez pas l’espoir
ses dents sont encore de lait
et sa chair, de soie.

L’Ascension diurne ou la vision de Mohamed
Imitant son père, Mohamed éleva ses petites mains
à embrasser une volée de nuages.
Ils l’enveloppèrent de leurs intimes duvets
l’aidèrent à monter au-dessus du mont sacré
l’évacuèrent momentanément du front.

Iniques et grotesques apparurent à l’enfant les dessous du fratricide :
les croyants s’entredéchirent
pour des ruines de minarets et des murs délabrés
mais leurs maîtres, pour des fleuves d’huile et de goudron.
Les nuages entamèrent l’hymne des damnés, déployèrent leurs ailes
déversèrent leurs tripes et leurs bruines baume et passion
pour soigner la cécité belliqueuse des adulateurs des dieux.

Implorèrent Allah de Mahomet
Yahvé de Moïse et le Père de Jésus
pour que cessent les torrents de sang.
Mais à leur grande surprise
ils découvrirent que le trio n’était qu’un seul et unique Dieu.
Mohamed s’exprima dans le langage des ébahis :
Dieu se délecte-t-il en silence
de la macabre procession de ses adorateurs?

Intrépide, le cerf-volant survola la Palestine
et revint exécutant des acrobaties
pour égayer les lieux du martyr.
Entre deux battements de cils
l’enfant revit le cerf-volant
sautillant, exhibant ses meilleures voltiges
un léger sourire s’afficha sur ses lèvres bleues
avant de sombrer dans le sommeil suprême.

Innombrables
les mains et les yeux du père se dressèrent
comme mille armées face aux grands intrigants
qui se vautraient, vertueux, vaniteux, verbeux
régnant au nom de la factice liberté.

Insanes meurtriers
ôter la racine aux jeunes pousses ne passera pas
sans un retour terrifiant, menacèrent les doigts du père.
Le temps renonça au voyage devant le dommage collatéral.
Les génocidaires se retranchèrent derrière le minéral
derrière les miroirs fumés de l’amnésie.

La dérision ou la prière des damnés

Le père héla son fils, tâta son corps, secoua sa tête.
Que des yeux vides et un ange sans vie l’interpellèrent.
Que des balles déchiquetant, dévorant le chétif corps de l’enfant
la raison du père chancela pour rejoindre une autre raison.
Il entreprit alors le plus long délire de l’histoire.

Au nom du genre humain, et au nom de son déclin
au nom de la parole sauvage et au nom de sa longue vie
je vous somme corps célestes et couronnes terrestres
de restituer le sourire de mon fils.
Mon pardon est infini
mais le châtiment du démuni sera inouï.

N’existe-t-il donc aucune voix sur cette terre
qui puisse porter jusqu’aux élus des Dieux
pour adoucir les nerfs de l’arrogance et dire :
au large gens de rancune, tenants de l’outrage?

N’existe-t-il donc aucune caresse sur cette terre
qui puisse apprivoiser la férocité
des éternels persécutés de l’histoire, et dire :
au feu, ravisseurs de l’idéal humain ?

N’existe-t-il donc aucune poigne sur cette terre
qui puisse contenir la purulence des incendiaires, et dire :
au dépotoir de l’histoire, revanchards, pauvres charognards ?

Si l’homme savait ce qui l’attirait dans le leurre
et pouvait lire ce qui se cachait dans les cœurs
et comprenait ce qui s’écrivait dans la chair
il retournerait l’arme contre son commandeur
car la fossile huile ne pourrait indéfiniment être usurpée
sans altérer l’essence de la terre.

Ô chairs, soyez pierres
si vous ne pouvez être pierres, soyez sables
si vous ne pouvez être sables, alors soyez poussières!
Ô mains, soyez feu
si vous ne pouvez être feu, soyez braises
si vous ne pouvez être braises, alors soyez cendrés!
Ô bras, soyez brume
si vous ne pouvez être brume, soyez rosée
si vous ne pouvez être rosée, alors soyez embruns!
Ô joues, soyez vent
si vous ne pouvez être vent, soyez tourbillon
si vous ne pouvez être tourbillon, alors soyez tempête!
Ô visages, soyez mirages
si vous ne pouvez être mirages, soyez magies
si vous ne pouvez être magies, alors soyez mythes
pour que les tueurs s’éblouissent longtemps
devant votre éternelle vie!


Le boomerang ou la revanche des mains

La mort de l’enfant
appela l’ire du temps à sévir
contre les faussaires impénitents de l’entente.
Le jour est toujours bleu
aux yeux des pollueurs des esprits
qui pullulent dans les palais.

Soulevant les bras inertes de son fils
le père, éploré, récita :
«Il n’y a de puissance et de force qu’en Dieu.
Nous appartenons à Dieu
et c’est vers lui que nous retournerons. »*

Nous avions la patience de l’oasis
seule arme contre l’ignominie ethnocidaire.
Ils ont l’arrogance de l’atome
la suffisance et l’amnésie de l’ignorance
pour nous enfoncer dans la vengeance.

Il s’élança dans la prière de l’absent
témoignant de ses dix doigts
en son nom et au nom de son fils
qu’il n’y a de Dieu que l’homme armé
et que Mohamed est sa victime.

Au bout de ses doigts
des étincelles de colère
se détachèrent et s’envolèrent
emportant sous leurs ailes
les graines de la revanche.

Les restes des prières du père et du fils
réduites en cendres, gisent au milieu des décombres.
La terre but son pétrole, ses artères se dénudèrent
électrifiant tout apprenti sondeur.
Les probes meurtris
se débattirent dans les abysses de la honte
comme dernier refuge au naufrage
se muèrent en bois, et crièrent :
servons de carburant à l’enfer des despotes.

Éparpillées sur le sol,
les prières, parmi les jambes
les bras, et les branches calcifiées
insufflèrent la flamme à l’humus et tonnèrent :
redressons les torts.

Des migrateurs
aux couleurs des ténèbres
sortirent des cendres
et partirent à l’assaut des tentacules de la raison
fauchant, mordant, brûlant les demeures de cristal.
La terre tressaillit jetant au sol les pharisiens de l’ombre
les cœurs des phraseurs frémirent devant le miracle.

* Formule qu’un musulman prononce à l’heure du danger ou de la mort.
Le chant de l’enfant universel

Le père et le fils marchaient dans la rue
main dans la main, ils chantaient la paix
de perles et de jades, le jour était paré
la brise d’automne parfumait l’allée.

Le jeune soleil éclairait la baie
les cols bleus battaient les pavés
les rameaux de feu offraient la poignée
mais l’airin de l’affront leur barrait la vue.

L’enfant est venu tête haute, tête nue
poitrine ouverte devant les obus
tendit la main pour dévier le but
des paroles muettes et des balles perdues.

Le plomb pointu passa comme une lame
déchira les veines des pupilles de l’âme
traversa le cœur sous les cris des flammes
lâcha le venin de l’esprit infâme.

Parti l’enfant sur les ailes de l’ange
comme un prince ou un sultan aux langes
emportant la haine au-delà du songe
aux gens du livre, il légua l’adage
méditez le sort du moyen-âge.

Sortez les colombes, peuples des forges
libérez l’humain des chimères des mages.
Mystiques du verbe, lancez le message
aux adeptes des armes ouvrez les cages
aux amis de l’arbre, montrez l’héritage.

Les faucons sévissent au pays de l’orange
attirent les jeunes sur les terres de fange
traînent les fidèles dans les marécages
éblouissent les gens dans l’éclair d’orage
voilent à l’esprit la voie du voyage.

Tomba le moineau au centre du village
au milieu des balles chanta le mirage
aux blindés sauvages donna son image
tendit la fleur aux tenants de l’outrage
érigea ses ailes duvet au naufrage.

Frères de sang, frères du monde
demeurons fidèles aux lueurs humaines
les paroles sereines abolissent les haines
cicatrisent les plaies de l’histoire féconde.

Molle la voix, le père implore le ciel
les yeux alertes fossilisent les cœurs
les mains arides fouillent les décombres
propre la tempête, la poussière retombe
indifférente, la fumée monte.

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